jeudi 18 juillet 2013

AVIGNON In 2013 - "Par les villages", de Stanislas Nordey

Vu le 10 juillet dans la Cour d'honneur du Palais des Papes


Crédit: Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Artiste associé avec Dieudonné Niangouna -qui nous a déçus par sa mise en scène de Shéda en Carrière de Boulbon-, Stanislas Nordey était très attendu avec sa mise en scène de la pièce de Peter Handke, Par les villages, présentée en Cour d'honneur. Habitué du festival pour y avoir commencé dans le Off et joué à plusieurs reprises dans le In, Nordey entendait offrir un retour au texte dans un événement qui voyait la critique française s'acharner sur son obstination de la forme au détriment du fond et de la parole. Ils sont ici servis avec cette pièce écrite par l'auteur autrichien en 1981. C'est l'histoire d'un retour au pays, d'un jeune homme, Gregor (Laurent Sauvage) qui a quitté son village rural pour gagner la ville où il a pris l'habit de l'intellectuel-poète. Rappelé auprès des siens pour exécuter le testament de ses parents décédés, il retrouve frère et sœur qui ont bien changé depuis leur séparation. Le premier, Hans (le metteur en scène lui-même), est devenu ouvrier dans la vallée voisine transformée en cité ouvrière. La seconde, Sophie (Emmanuelle Béart), rêve modestement d'ouvrir sa boutique. Pour Gregor, c'est le choc, la campagne qu'il comptait retrouver n'est plus qu'un fantasme. A-t-elle seulement existé? Au fil de (très) longues tirades adressées au public, la fratrie se déchire et ne se retrouve pas. Tous ont leurs propres idéaux, leur vision du progrès et de son accomplissement. L'incompréhension règne.
Crédit: Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Handke use d'un texte touffu où l'intrigue de départ est rapidement diluée. Les monologues de ses personnages se transforment en des oraisons d'un monde en perte d'idéal, où les nouveaux dieux, les humains, semblent désarmés. Nordey met en scène ce texte assez statiquement dans un cadre majestueux qu'il n'use que très peu, ayant pour seul décor, en première partie, une série de cabines de chantiers bleues tantôt chaumières, tantôt maisons; en seconde partie, une rangée d'arbres fantomatiques. On comprend que c'est la parole qui est au centre, mais sa prépondérance est profondément indigeste. Renforcée par le ton oratoire et parfois sermonnant des comédiens, l'attention du spectateur est mise à rude épreuve dans ce spectacle fleuve de cinq heures. Stanislas Nordey, parfait dans sa diction et sa déclamation, se démarque de la distribution parfois démonstrative. Lumineuse dans sa combativité, Emmanuelle Béart utilise à bon escient ses deux grands moments. Le règne de la parole atteint son sommet avec le dernier soliloque de Nova. Pour clore la représentation, le personnage incarné par Jeanne Balibar tient la chique durant trente-cinq minutes. Mais son ton d'oracle immobile au timbre métallique tient difficilement la distance, miné par l'écho de l'amplification. Dommage! Malgré ses défauts, Par les villages prend sa force dans l'épique de ses réflexions sur une vision du monde que l'on entrevoit difficilement au terme de la représentation mais que l'on saisit au mieux une fois le texte sur les genoux. Nordey et Handke nous convient à une quête du poétique, du romantique et de l'humain.

"Exister doit être un triomphe! Peut-être n'y a-t-il plus d'endroits sauvages, mais le temps, toujours sauvage et neuf, demeure. (...) Et cessez de vous ronger pour savoir s'il y a Dieu ou non-Dieu: l'un donne le vertige à en mourir et l'autre tue l'imagination et sans imagination aucun matériau ne devient forme: c'est elle le dieu juste." 
Nova

dimanche 14 juillet 2013

AVIGNON Off 2013 - Mes échos du Off (2)

Si Avignon permet de faire de belles découvertes, les séances de rattrapage ne sont pas exclues. Voici un peu des deux...

Vision

Crédit: D. R.
Performeur connu des scènes bruxelloises, Pierre Mégos aime le cinéma, est fou de cinéma. Dans Vision, créé en janvier dernier à la Balsamine et présenté au Théâtre des Doms ce mois de juillet, il allie performance 'live' -côté jardin- et incrustation en direct dans un film diffusé côté cour. Cinéma et théâtre se confondent. La qualité technique est stupéfiante et, outre la machinerie, le comédien parvient à nous offrir une prestation pleine de poésie surréaliste. On repère les références aux univers de Fritz Lang, de Magritte, de Georges Lucas (une petite allusion à THX 1138?), qui doivent avoir nourri l'imaginaire de l'artiste. Mais Mégos parvient également dans son ingénieuse prestation à effleurer avec humour les guerres d'ego entre réalisateur et acteur. Chapeau à la précision de l'artiste qui maîtrise son outil et son propos sur le bout des doigts, ce qui lui vaut notamment une nomination en tant que création technique et artistique aux Prix de la Critique 2012-2013.

Jusqu'au 28 juillet au Théâtre des Doms.
La saison prochaine: du 25 février au 1er mars à La Balsamine à Bruxelles.

End/Igné

Crédit: Cie El Ajouad
Azzedine Bénamara nous avait captivé dans son interprétation dans La Nuit juste avant les forêts de Koltès (au Petit Varia en novembre 2011), ce qui lui avait valu d'être nominé au titre de meilleur Seul-en-scène aux Prix de la Critique 2011-2012. L'artiste formé à Mons et à Valencienne réitère l'exercice solo avec un texte de l'auteur algérien Mustapha Benfodil. Dans un coin reculé du désert, Moussa, jeune gardien de la morgue locale, disserte avec ses morts silencieusement couchés dans leur frigo. Tous ces cadavres incarnent par leur histoire une faiblesse de l'État de droit algérien ou une inégalité sociale. Et Moussa compte bien les raconter ces histoires comme il nous les livre, avec humour et cynisme, dans un livre qu'il prépare avec son ami blogueur-journaliste. Le projet s'avère cependant compromis quand le camarade militant s'immole en plein tribunal et atterrit dans la morgue de son ami Moussa. L'incompréhension et la déception envahit le gardien des morts. Devenir "L'Igné", est-il la seule issue pour faire entendre sa voix dans un régime sclérosé par la paranoïa? Le parcours de Mohamed Bouazizi, le jeune étudiant marchand de fruits qui par son suicide spectaculaire a rendu publique la révolution de jasmin tunisienne. Bénamara démontre encore tout son talent dans ce seul-en-scène qui prend de la distance et pose les bonnes questions des racines de la révolution: celle d'une rancœur trop longtemps contenue.

Jusqu'au 27 juillet à 14h à La Manufacture.

Je vous ai compris

Crédit: D. R.
Projet de fin d'études au départ et aujourd'hui production du Groupov liégeois (Un uomo di meno, Bloody Niggers!), Je vous ai compris nous raconte le parcours des parents deux auteurs et interprètes Valérie Gimenez et Sinda Guessab. La première incarne son père, d'origine espagnole émigré en Algérie. Devenu pied noir et naturalisé français au sortir des accords d'Évian, il confie au public son incompréhension face à l'attitude de la France dans la décolonisation. À côté de lui, la mère de Sinda Guessab, interprétée par sa fille, relate avec un joyeux détachement le parcours de sa famille qui a elle aussi quitté l'Algérie et goûté aux difficultés de l'intégration. Sous la forme d'un sobre théâtre documentaire, les deux comédiennes habillent leur récit de témoignages et de documents d'archives pour mieux nous éclairer sur les différents points de vue d'un épisode de l'Histoire encore douloureux en France. L'écran de fond de plateau sert de planche à dessin géante à Samir Guessab qui tout aussi sobrement illustre le propos des narratrices sans pour autant être redondant. Une belle alliance du textuel et du visuel renforcée par la démarche touchante et personnelle des deux artistes qui se glissent avec aisance dans les costumes de leurs parents.

Jusqu'au 27 jullet à 11h à La Manufacture. Pas encore de date pour la saison prochaine en Belgique.



jeudi 11 juillet 2013

AVIGNON Off 2013 - L'asthme carolo de Mochélan

Crédit: Leslie Artamonow
Dernières notes, public debout, applaudissements. Mochélan a tapé dans l'œil des festivaliers avignonnais. Jusqu'au 27 juillet à la Manufacture, il présente son spectacle Nés Poumon Noir, issu d'un vieux projet de rap Pléonasme, dans lequel il évoquait déjà un portrait sombre de la ville de Charleroi. Il était alors un rappeur qui essuyait ses premiers concerts, notamment avec son complice musicien Rémon Jr, qui l'accompagne toujours aujourd'hui. Ce projet de ce spectacle multidisciplinaire -avec le travail vidéo de Juliette Delpech et de Dirty Monitor et les lumières de Virginie Strub- est dû notamment à Jean-Michel Van den Eeynde qui met en scène l'artiste carolo. Ces textes sont aujourd'hui habillés, mis en perspective dans un propos qui relate l'évolution de celui qui s'appelle à la ville Simon Delecosse. Hier en rage, aujourd'hui plus modéré, il nous raconte l'histoire d'un projet qui va tourner en Belgique et peut-être ailleurs. Son interview ci-dessous...


Les morceaux qui illustrent cette interview intitulés "Notre ville" et "Karma" sont issus du spectacle et d'un EP "Versus", sorti sur le label Factice/Igloo records.

Jusqu'au 27 juillet à La Manufacture à 17h10.
La saison prochaine en Belgique: du 11 au 14 février 2014 à l'Eden à Charleroi (Festival KICKS!), du 18 au 22 février 2014 au Théâtre National à Bruxelles (Nouvelles Vagues) et le 30 avril 2014 à la Maison de la Culture de Tournai.
Mochélan sera par ailleurs présent le 17 juillet au Francofolies de Spa pour présenter les titres de son album à venir. 


mercredi 10 juillet 2013

AVIGNON Off 2013 - Mes échos du Off (1)

Voici quelques commentaires sur les spectacles vus dans ce Off qui bat les records cette année avec plus de 1.200 spectacles. Entre des affiches affreuses et des titres débiles ("Le pet, le prout et le prof", "Mon poing sur ton I", "Le con, la cruche et le chaud lapin", etc.)*, j'ai dû opérer quelques choix...

L'ami des Belges

Crédit: Dominique Gaul
Jean-Marie Piemme s'inspire de l'affaire Bernard Arnault pour son nouveau texte créé à Avignon. Dans L'ami des Belges, Fabrice Schillaci (habitué de Piemme pour avoir incarné avec succès le fameux chien qui dialoguait avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis) incarne un drôle de PDG milliardaire et français qui tombe en panne dans la campagne belge, un comble pour cet homme pour qui tout est programmé. Entre un champ de betteraves et une pâture de Blanc-Bleu-Belge, il profite de ces heures chèrement perdues pour dicter à son nègre les premières pages de son autobiographie. Un ouvrage où il désire communiquer aux sujets d'Albert II son indatable désir de vouloir devenir Belge, un leurre dans une opération de séduction bien préparée. L'humour côtoie le cynisme dans cette farce remplie de belgitude qui ne manque pas d'égratigner les deux côtés de la frontière belgo-française. Schillaci joue les colériques facétieux, sans excès, qui déracine ses plantes vertes pour mieux réimplanter les siennes. La  mise en jeu de Jean Lambert utilise avec poésie et émotion quelques monuments de la culture de la belge patrie. Soutenu entre autres par le Théâtre de Liège (ex-Théâtre de la Place), le spectacle n'a cependant pas encore de dates prévues la saison prochaine. (Vu le 9 juillet)

Jusqu'au 28 juillet  aux Ateliers d'Amphoux à 12h30.

Nés Poumon Noir

Crédit: Leslie Artamonow
Simon Delecosse ne s'attendait certainement pas à un tel accueil à Avignon pour son spectacle musical. Le public est debout après l'heure dix d'un slam lucide et joliment mis en scène. Sous le nom de Mochélan, l'artiste écrit depuis plus de dix ans sur l'asthme carolorégien du corps Belgique. Chômage, délinquance, mauvaise gestion publique, tout y passe. À 30 ans aujourd'hui, il monte sur scène pour revenir sur cette décennie de rage imprimée sur papier. Le rappeur a mûri et traduit cette évolution dans un spectacle alliant musique et théâtre construit avec l'aide du patron de l'Ancre Jean-Michel Van den Eeyden. Sympathique et plein d'humour, il peint un portrait sans concession d'une cité noire qu'il aime par dessus tout. Lui qui n'aimait pas l'école aime à parler du problème d'autorité qui règne dans nos lycées, plus lucide que jamais depuis qu'il court les classes avec des animations citoyennes (avec l'association Jeunes & citoyens). Sur les musiques de son comparse Rémon Jr (boîtes à rythme et piano), présent avec lui sur scène, et le très graphique travail vidéo des Dirty Monitor. Ici, Charleroi pourrait parler peu aux cœurs avignonnais mais Mochélan assure une universalité de son histoire, celle d'un gamin d'une ville condamnée devenu artiste un peu par hasard. (Vu le 9 juillet)

Jusqu'au 27 juillet à La Manufacture à 17h10.
La saison prochaine en Belgique: du 11 au 14 février 2014 à l'Eden à Charleroi (Festival KICKS!), du 18 au 22 février 2014 au Théâtre National à Bruxelles (Nouvelles Vagues) et le 30 avril 2014 à la Maison de la Culture de Tournai.
Mochélan sera par ailleurs présent le 17 juillet au Francofolies de Spa pour présenter les titres de son album à venir. Un EP Versus est déjà disponible sous le label Factice/Igloo Records.


Closer (entre adultes consentants)

Crédit: Rebecca Bowring
Les cinéphiles gardent en tête le formidable quatuor (Portman, Roberts, Law et Owen) du film de Mike Nichols. Mais Closer est au départ une pièce de théâtre écrite par Patrick Marber, qui avait d'ailleurs lui-même signé l'adaptation cinématographique. Son texte est riche de répliques cinglantes, parfois crues, dans ce chassé-croisé amoureux entre quatre adultes qui s'aiment et se quittent à la recherche d'un impossible amour parfait. Grand succès des planches genevoises, cette production suisse respecte leurs portraits calibrés: une strip-teaseuse femme-enfant, une photographe indécise, un écrivain raté et un médecin tendre sous des airs de goujat. Plus que la fidélité, c'est l'honnêteté dans le couple qui est ici questionnée. Peut-on réagir en adulte lorsqu'on est/a trompé? On retiendra de cette création de Françoise Courvoisier, habituée du Public où la pièce est programmée, la scène de rupture en miroir et les dernières vingt minutes qui confirment nos impressions sur les qualités de jeu de Vincent Bonillo, sincère, et Sophie Lukas, classieuse. Dommage que la mise en scène classique ne prend pas plus de risques et que l'accompagnement musical résonne parfois à plat. (Vu le 9 juillet)

Jusqu'au 28 juillet au Théâtre des Halles à 21h30.
La saison prochaine en Belgique: du 25 février au 5 avril au Théâtre Le Public à Bruxelles.


* Authentique (hommage à Goscinny)

AVIGNON In 2013 - "Shéda", de Dieudonné Niangouna

Vu le 8 juillet à la Carrière de Boulbon


Crédit : Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Pour ma première fois au "In" d'Avignon, j'ai choisi de me rendre à la Carrière de Boulbon. À quelques kilomètres de la Cité des Papes, cet ancien lieu d'extraction accueille depuis plusieurs étés les créations présentées comme majeures, avec celles de la Cour d'honneur du Palais papal, du rendez-vous international du théâtre. 
Crédit : Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Une carrière de pierre désertique où est planté un dispositif minier fait de métaux rouillés et de palettes de bois, sur l'avant-scène des tenues d'ouvrier vidées de leur corps, un crocodile ligoté... Le monde dans lequel nous emmène Dieudonné Niangouna, artiste associé de la 67e édition du festival, est vidé de son sang, de son humanité. Celle qui a survécu doit tout reconstruire. Mais connaît-elle les erreurs de son passé? Après avoir écrit sur les bruits de la rue (le nom de sa compagnie par ailleurs, ndlr), l'artiste originaire du Congo-Brazzaville disserte sur la rumeur de la planète, de ces inégalités, de son néocolonialisme et d'une nature humaine profondément violente.
Se décrivant lui-même comme auteur de l'urgence, Niangouna voit Shéda comme un cri ou un monologue adressé au public. Son monde est peuplé de bêtes humaines conscientes de leur animalité mais pas de leur humanité. Autrefois puissantes, elles sont aujourd'hui perdues dans un monde où tout est à refaire, ou les conflits se règlent au poing. Planent alors les interrogations de la reconstruction. Dans la distribution internationale de 11 comédiens qui se partagent le texte écrit comme un seul jet même s'il est faussement dialogué, quelques individualités sortent du lot, mais le spectateur peine à les identifier. En prônant le tout est dans tout dans les malheurs de l'univers (ce qu'il appelle "saisir le monde en diagonale", cf. programme du spectacle), l'auteur rend son propos abscons, trop référencé et mal distribué aux différentes bouches qui le déclament. Les quelques fulgurances qui apparaissent au cours de la première partie viennent de Niangouna lui-même ou encore de Mathieu Montanier (artiste associé à L'L à Bruxelles par ailleurs), incantateur mystique courbé dans sa longue robe. Mais l'on se perd dans la démonstration volubile incarnée par des personnages indéfinis. Même ce couple séparé par l'apocalypse ne nous touche guère.
Crédit : Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Utilisant sobrement les différents niveaux de la carrière mais pas suffisamment ses possibilités d'éclairages, l'auteur Niangouna peine à mettre en scène un spectacle manquant cruellement de narration, même fragmentaire. Les quelques respirations musicales, chorégraphiées -danses et combats- par DeLaVallet Bidiefono, viennent à peine apaiser la tension constante. Lourdeur et lenteur, s'ajoutant à la pluie qui s'est abattue sur Boulbon, n'ont pas incité de nombreux spectateurs, y compris votre serviteur, à poursuivre les 4h30 d'un spectacle qui aurait besoin d'être resserré en gagnant structure et théâtralité.