mercredi 17 octobre 2012

Serge Demoulin : "Apporter la parole du fou sur la place du village"


Dans l'attente de nouvelles critiques sur les créations de la saison, je vous fait patienter avec une interview de Serge Demoulin que j'avais faite pour Metro en mars 2012 pour la création du Carnaval des Ombres au Rideau de Bruxelles (Atelier 210). Ce spectacle a reçu le Prix de la Critique du meilleur seul-en-scène pour la saison 2011-2012, l'occasion de ressortir les propos de l'auteur qui tourne toujours avec ce petit bijou.

L'Histoire démasquée

BRUXELLES Lorsqu'il se fait traiter de Boche par un camarade du Conservatoire, le Waimerais Serge Demoulin se rend compte de l'image des cantons «rédimés» dans le reste de la Belgique. Dans Le Carnaval des Ombres, il souhaite mettre en lumière une part d'ombre de l'Histoire de Belgique: l'annexion des Cantons de l'Est par l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Le tout dans une ambiance carnavalesque.


Crédit : Alessia Contu

En 1940, le territoire belge est amputé de ses cantons aujourd'hui dits de l'Est. Ces
régions «rédimée» étaient alors placées sous autorité allemande. La conscription dans la Wehrmacht de son grand-père et de deux de ses oncles reste une histoire tue dans la famille de Serge Demoulin, comme dans le reste de la Belgique. Comment mourir au front avec cette uniforme quand on est belge. L'auteur et comédien y apporte son point de vue

Comment se sont passées vos recherches ?
«J'ai rencontré Paul Dandrifosse qui s'est intéressé à cette période. J'ai eu accès à son ouvrage avant qu'il soit publié. Il m'a permis d'avoir les données historiques. Je ne les avais pas. Le problème dans la région c'est cette chape de plomb sur ces événements. Les gens de la région eux-mêmes ne sont pas au courant. Ils portent une responsabilité de la non-reconnaissance de l'État mais l'État a sa part aussi. Quand j'ai eu ces informations en main, j'avais tout ce qu'il fallait pour lancer une écriture.»

C'est votre première expérience en tant qu'auteur...
«Je voulais d'abord faire quelque chose autour de Paul Dandrifosse. J'en ai parlé avec un auteur parce que je ne m'en sentais pas du tout capable. Comme ce la ne s'est pas fait. Michael Delaunoy, directeur du Rideau de Bruxelles, m'a demandé une note d'intention et m'a dit : 'Il n'ya qu'une personne qui puisse l'écrire, c'est toi'. Il m'a porté pour que je puisse apporter mon point de vue sur cette histoire.»

Est-ce du courage que d'aborder cette part sombre de l'Histoire ?
«Je n'ai pas pensé en ces termes-là. C'est ce que les gens me disent. Je voulais rendre hommage et non pas faire polémique. Cependant, j'avais le sentiment dès le départ d'apporter la parole du fou sur la place du village.»

Enfant, aviez-vous conscience de cette situation ?
«Non, je voyais la douleur de mes parents lorsqu'ils devaient évoquer le sujet. Ils n'en parlaient pas d'ailleurs. On peut interpréter le silence comme une sorte de paix sociale imposée lorsque ces régions ont réintégré le territoire belge (en 1945, ndlr).»

L'allusion au carnaval permet d'apporter une part de fantaisie.
«Au carnaval, sous l'effet de l'alcool, on entendait parfois parler de cette période. Mais dans la pièce, le carnaval permet d'apporter une part de fantasme. Celui que j'évoque, je l'ai inventé à partir de tout ceux que j'ai faits. C'est une ambiance bon enfant mais glauque également. Les masques tombent, les personnages évoquent Ensor ou Ghelderode. Beaucoup d'anecdotes se sont réellement passées. Mais jamais je n'aurais osé monter sur le monument aux morts.»

«La mousse de la bière est proportionnelle à la couche de silence qui recouvre les blessures de l'histoire». Une jolie phrase qui traduit tout.
«Je crois sincèrement que dans les régions où on fait souvent la fête -et parfois grossièrement-, c'est qu'il y a une pression. C'est comme une attitude de défense avec une forme de folie. On chante mais sous le masque, ça pleure.»

Dans votre texte, pourquoi insérer des passages en wallon ?
«Lors de la germanisation de la région sous Bismarck, le wallon apparaissait comme une langue de résistance par rapport à l'allemand du Kultuurkampf. C'était essentiel. Pour moi, mon envie de faire du théâtre vient de mon père qui jouait dans des pièces en wallon. Cela permet d'amener un musicalité dans le texte.»

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